3" / Marc-Antoine Mathieu


Trois secondes
    Cette bande dessinée est un pari esthétique, une idée mise en images qui se décline sous trois formes : album, « objet numérique » (plutôt que clip vidéo), exposition. Le concept apparaît dans le titre : trois secondes, c'est le temps qu'il faut à la lumière pour parcourir 900 000 km, ou à une balle de revolver pour couvrir 1 km. Marc-Antoine Mathieu imagine un dispositif graphique qui démultiplie le temps, pour nous donner à voir tout ce qui se passe dans cette fraction de minute à des milliers de kilomètres de distance. Et d'ailleurs, qui sait si tout n'est pas lié dans cette seule et même histoire ? Pour nous permettre d'être les témoins de ces événements à la fois liés et simultanés, Marc-Antoine Mathieu s'est donné quelques règles simples : des pages de six cases carrées de 7 cm de côté, un noir et blanc net et précis, et un lien obligatoire d'une scène à l'autre par l'intermédiaire d'un objet présent dans la première scène et qui fait miroir à la suivante. On passe ainsi de la pupille d'un des personnages principaux au reflet bombé d'une coupe en métal aux faux airs de vase antique, de la lentille d'un appareil-photo au reflet clinquant d'une dent en or de magnat de la presse sportive... Parfois un peu artificiel, le dispositif permet cependant un effet de zoom continu qui confère un mouvement réel à la lecture. De ce point de vue, l'expérience proposée par 3'' version papier est assez inédite. La version numérique, concoctée avec l'aide de Yannick Lejeune, apporte du coup assez peu à l'expérience. Elle propose une vision enchaînée de toutes les images, mais ce n'est pas à proprement parler une vidéo. Ce qui donne un aspect assez haché à l'objet numérique. L'effet de zoom n'est pas spécialement plus impressionnant que dans l'album, où il naît de l'activité de l'œil du lecteur puisque les images sont fixes (à mon avis la vraie prouesse est là). Ce mouvement créé par l'enchaînement des vignettes peut même à la limite donner légèrement mal au cœur (dans mon cas du moins). L'intérêt de la version numérique réside à mon sens dans la possibilité donnée au « lecteur » d'agir sur le sens de déroulement de l'histoire et sur son rythme. En déplaçant le curseur, on peut ainsi accélérer considérablement le zoom, ou au contraire le figer sur une image afin de la détailler à loisir, mais aussi relire l'histoire à l'envers.

    L'intrigue, qui repose sur une sombre affaire de matchs de football truqués, est très bien servie par ce noir et blanc incisif et ce mouvement ininterrompu qui inclut des images de matchs. Pour la comprendre, il faut s'intéresser aux détails des images, notamment à tous les écrits qui en général apparaissent inversés (puisque regardés en miroir) : affiches, articles de journaux, SMS... L'album exige une lecture active pour révéler tout son sens, mais peut aussi présenter un intérêt en lecture survol par sa qualité graphique. C'est un gage de qualité que de permettre plusieurs niveaux de lecture. Dans la mesure où, en plus, cette bande dessinée propose une expérience plutôt inédite, n'hésitons pas à la mettre entre toutes les mains, des meilleurs lecteurs en collège, au LP et au lycée.


Références :
3'' / Marc-Antoine Mathieu. Delcourt, 2011.  978-2-7560-2595-7. 14,95 €.